• Chapitre un: L'exil - Partie 1

    I

    Bahamut ouvrit les yeux, le cauchemar était terminé. Pendant une seconde, il s'y crut encore avec le grondement sourd résonnant tout autour de lui, ainsi que la lueur vacillante de la bougie peignant la pièce exiguë d'une lumière maladive.

    Mais il comprit que c'était terminé, qu'il était de retour à la réalité. Sa conscience se demanda alors ce qui était le mieux, la réalité ou le rêve ? Il ne trouva pas la réponse, ni dans l'un, ni dans l'autre, il n'avait le réconfort et en général, quel que soit l'état, le passé le rattrapé toujours et le torturer sans cesse.

    Ce fut assez pour son estomac, il se retourna brusquement sur sa couchette et vomit un mélange de bile et du peu qu'il mangeait. Ce qui ressemblait vaguement à du poulet et a du biscuit sec vint tacher le drap gris avant de glisser sur le sol dans un long filet dégoutant de fiel.

    Il toussa en se tenant l'estomac, les yeux crispés par la douleur avant de se calmer, puis il se remit sur le dos et observa les ténèbres qui régnaient sur lui. Il avait perdu la conception du temps... Bahamut ne comptait plus les jours depuis qu'il était enfermé ici, les heures lui semblaient être des éternités et chaque minute était une succession de seconde lui brulant l'esprit de souvenir atroce.

    Autrefois, il avait été sans doute bel homme : un corps de grande taille et musclé, plein de vigueur et de force. De longs cheveux noirs corbeau encadrant une mâchoire carrée et un visage aux traits guerriers. Son regard vert émeraude, une fois posé sur vous, vous glacez le sang et semblez fouiller les moindres recoins de votre âme.

    Qu'en était-il maintenant ? Le bel homme avait laissé place à un monstre hirsute : ses beaux cheveux étaient désormais gras et sans cesse en bataille. Son regard glacial changeait en un regard larmoyant qui lui avait rougi les yeux. Les traits de son visage s'étaient émaciés et deux poches de cernes lui creusaient le regard, tout comme ses joues s'enfonçaient dans sa mâchoire carrée. Autrefois rasé de près, il avait laissé sa barbe poussée, devenir comme un buisson autour de ses lèvres, de ses joues, de son menton et de son cou, du vomi lui était resté coller, formant un fil baveux jaunâtre lui collant entre ses poils noirs. Tout son musculeux corps semblait souffrir de la faiblesse de son inactivité, à rester avachi sur son lit durant des jours, voire des mois.

    Bahamut ferma les yeux, il ne cherchait pas à replonger dans le sommeil, mais à s'oublier quelque temps, plonger dans un pseudo oublie où il attendrait la paix. Malgré ses paupières fermées, la lueur de la bougie lui rappelait son existence. Il fouilla d'une main les abords de son lit et sentit non loin de sa main gauche une boite en bois. Il ne chercha pas à quoi elle pouvait bien servir et la jeta maladroitement sur la bougie.

    Celle-ci se cassa quand la boite la sectionna et frappa le mur derrière. Elles tombèrent toutes les deux aux sols, la boite s'ouvrant et laissant s'échapper deux pendentifs pendant que la flamme de la bougie se mourrait sur le parquet.

    Attiré par le reflet de l'argent, le regard de Bahamut se tourna vers la boite. Deux pendentifs, l'un représentant les quatre ailes d'Ultima, la déesse de l'équilibre et le marteau de Mortannius, dieu originel du repos éternel... Deux dieux qui l'avaient lâchement abandonné à son triste sort. Finalement, la flamme mourut et toute la pièce tomba sous couvert le des ténèbres. Laissé à sa solitude, Bahamut finit par s'oublier doucement, tombant dans une sorte de transe maladive en écoutant d'une oreille le grincement qui se répétait dans toute la pièce et au-delà même.

    Il n'entendit pas les bruits de pas qui s'amenaient vers la pièce, ni le cliquetis de la serrure qui s'ouvrit. Ce n'est que quand une vague de lumière le submergea et lui brûla les yeux qu'il comprit qu'il ne serait jamais en paix.

    Trois formes apparurent sur le pas de la porte, bloquant la lumière à la satisfaction de Bahamut et entrèrent à l'intérieur de la cabine. Un gémissement de dégout se fit entendre pendant que la plus petite et menu des trois formes, une femme sans aucun doute, se boucha le nez avec une main. Il est vrai que l'odeur de sueur et de vomi mêlé n'avait rien de bien sympathique. En tout cas, les deux autres personnes à être entrés dans la minuscule cabine n'émirent aucun commentaire, ils semblaient même habitués à cela.

    -Messire William Seck ? Vous êtes... hum... réveillez ?

    La voix d'un homme, fort, autoritaire, qui hésita sur le mot à prononcer. Il y avait de quoi... « William Seck », un nom d'emprunt afin de ne pas éveiller le moindre soupçon, n'avait été vu que le premier mois de navigation vers Alyndril et le reste du temps, il n'avait été qu'un fantôme parmi les passagers dont certain oublièrent jusqu'à son existence et enfin, il y a de cela un mois tout au plus, il avait disparu dans sa cabine, s'enfermant à double tour.

    Bien sûr, le capitaine du navire avait un double de toutes les clefs, y compris celle de sa cabine.

    Bahamut grogna et se tourna contre le mur soutenant sa couchette, se cachant de la lumière et posa une main sur son oreille, refusant d'écouter ce qui allait suivre.

    -Vous voyez, fit la voix féminine du groupe. Je vous l'ai bien dit qu'il n'était pas mort !

    -Vu l'odeur, on aurait bien dit, commenta la troisième voix, celle d'un deuxième homme.

    Il y eu un claquement de doigts rapide, puis l'homme grogna avant que le premier d'entre eux ne s'exclame d'une voix encore plus forte.

    -Pas de ça ici, on ne parie pas sur des vies, surtout sur MON navire ! C'est compris matelot ? Dame ?

    Il y eut un silence, puis des bruits de pas lourd se rapprochant du misérable sur sa couchette. Bahamut aurait bien résisté, mais fatigué autant physiquement que mentalement, il se laissa faire quand le capitaine du navire, James Chancre, le retourna en lui saisissant l'épaule et plongea son regard noir et furibond dans celui de Bahamut.

    -Hey bien gamin ! Vous m'avez foutu une sacrée trouille ! Pendant un moment, j'ai cru que votre absence était due à un suicide, que vous vous étiez jeté par-dessus bord pour aller rendre visite aux royaumes sous-marin de Léviathan.

    -Oui, en fait... Tout le monde avait oublié que vous existez, même lui, fit l'elfe à la peau mat. Bon, moi c'est une autre histoire, je me souviens bien des gens, de leurs visages et ne plus vous voir errer dans les couloirs comme une âme en peine, ça me rendait triste... Moi, j'aimais bien ça, je me moquais un peu de vous, je sais, c'est mal, mais c'était marrant !

    Chancre passa son crochet de métal, remplaçant sa main droite, dans sa barbe blanche, un moment d'égarement et de légère honte pour avoir oublié son passager, mais il se reprit bien vite et fusilla la femme.

    -Je doute que messire ici présent n'aime entendre ce que vous dites. Soit, je vous ai oublié, mais il y a tellement de visages sur ce navire que... bref, ce que dame Gaïa, ici présente, veut dire, c'est que nous nous inquiétons de votre santé. En tant que capitaine de ce navire, je veille sur mon équipage ainsi que sur les voyageurs qui empruntent mon navire.

    -Ah non, ce n'est pas ce que je voulais dire moi, commenta Gaïa dans son coin.

    Bahamut fronça des sourcils, puis fit un geste de main en l'air.

    -Vous me fatiguez. Laissez-moi tranquille.

    Le capitaine Chancre grommela quelques mots dans sa barbe, relevant son tricôrne noir à l'aide de son crochet, puis reprit :

    -Allons mon petit, si vous avez pris la mer pour partir dans le pays le plus éloigné du monde, ce n'est surement pas pour trainer vos remords avec vous ? Les trois quarts des voyageurs qui ont pris la mer sur mon navire l'ont fait dans le but de ne jamais revenir sur le continent et ils sont tous aussi surexcités qu'un Sloakins qui aurait le feu à la queue.

    Le colosse fatigué détourna le regard. Qu'est ce qu'un homme comme Chancre pouvait bien savoir de son malheur et de toute manière, qu'avait il a fait de lui pour venir le déranger dans sa solitude.

    Le vieux capitaine poussa un soupire et secoua la tête de découragement. Gaïa s'approcha alors jusqu'à la couchette de Bahamut, marchant avec ses souliers dans quelque chose d'humide et de chaud.

    -Ierk ! Mais c'est... dégoutant ! S'exprima l'elfe en dégageant son pied du vomi se trouvant justement là où il ne fallait pas.

    Gaïa jeta un regard noir sur Bahamut, puis sur le capitaine qui émit un petit rire moqueur, avant qu'elle ne se radoucisse et mette cet incident de côté.

    -Bon, on est parti du mauvais pied tous les deux, mais vous savez, je suis une chouette fille hein... Soudain, le regard des deux hommes aux côtés de Gaïa se tourna vers elle. Hey non ! Je ne parlais pas de ça, bande de goujat !

    -Mille excuses Milady, votre ton nous à induit en erreur, se moqua de nouveau Chancre en se reculant.

    L'elfe à la peau mate soupira, puis revint sur Bahamut, qui la regardait. Gaïa sourit en voyant que l'homme lui daignait enfin le regard.

    -Écoutez... Je ne sais ce qui vous est arrivé, mais ce n'est pas bon de rester seul comme vous le faites. Je ne peu pas vous promettre d'avoir la solution à vos maux, mais je suis prête à vous apportez mon aide si nécessaire, du moins, une présence.

    L'acte était louable, mais sonnait faux. Le regard de Gaïa brillait d'une certaine curiosité, elle ne cherchait pas vraiment à apporter le réconfort, mais plutôt à fouiller les petits secrets qui l'intéressait. En bref, elle ressemblait à une de ses commères qu'on trouve généralement aux fenêtres de leurs maisons à épier leurs voisins, sauf qu'à la place d'une mégère, c'était une elfe drôlement joli.

    Bahamut le savait, mais il s'en fichait.

    -Vous allez faire quoi, une fois en Alyndril ? Vous trouvez une grotte et jouer à l'Hermite jusqu'à ce que Champel décide de vous voler l'esprit ? Où vous allez un peu vous remuez et reprendre du poil de la bête. La vie en Alyndril est plutôt facile non ? Vous pourriez facilement reprendre une nouvelle vie, connaitre de nouvelle personne et... elle baissa d'un ton pour éviter que Chancre et le matelot présent dans la cabine n'entendent, trouvez un pseudonyme un peu moins ridicule !

    « William Seck » écarquilla les yeux, c'était si visible que cela qu'il usait d'un pseudonyme pour cacher son identité ? Si Gaïa avait découvert la mascarade sur son nom, elle pouvait le dire au capitaine. La guilde des transports avaient reçu sont avis de présence sur le nom de William Seck et il risquait, si Gaïa cafté, de se retrouver dans un sale pétrin, surtout s'il devait dévoiler sa véritable identité.

    Bahamut se releva et s'assit sur la couchette, sous le sourire de Chancre.

    -A la bonheur, notre petit gars semble avoir déjà repris un peu d'aplomb avec vos saines paroles, Dame Gaïa.

    L'elfe sourit, un sourire malicieux qui voulait tout dire.

    -En effet, en effet... Il est assis, c'est déjà ça !

    Il ne répondit rien, se passa une main dans ses cheveux gras et constata qu'il avait la tête qui tournait. Pendant un moment, il voulut ce rallonger, mais l'elfe lui saisit le poignet et le tira en avant.

    -Allez ! On va prendre l'air, boire une bonne bière et manger un petit plat. C'est moi qui vous invite. Tout ça va vous faire du bien et vous pourrez me raconter vos petits malheurs. Tati Gaïa est là pour vous aider.

    Tu veux surtout tant mettre plein les oreilles pour faire du racontar, pensa sombrement Bahamut.

    Il se laissa tirer et se mit debout, sentant ses jambes trembler sous l'effort. Gaïa passa un de ses bras par-dessous son épaule et l'aida à marcher. Chancre opina de plaisir en le voyant sortir peu à peu de la cabine vers le couloir du navire.

    -Bien, je vais faire nettoyer votre cabine pendant ce temps, messire Seck. Mais ne vous reprenez plus de jouer à celui dont le monde n'as rien à faire, où je vous laisse crever dans vos miasmes jusqu'à Alyndril !

    Faiblement, Bahamut opina sans trop en prendre en compte. Il passa devant le matelot avec l'aide de Gaïa, un type lui ressemblant vaguement du visage avec la même mâchoire au carré, mais couturé de cicatrices et d'un regard bleu délavé. L'homme lui donna une furieuse bourrasque dans le dos en poussant une sorte de cri de victoire censée l'encourager.

    -Mon gars, crois moi, une fois que tu auras quitté ce rafiot, tu pourras prendre ton pied à Inoa avec toutes les femmes faciles qui y trainent !

    Brusquement, Bahamut fit volte-face et envoyant son poing en plein dans la figure du marin, qui se cogna au mur de la cabine et glissa sur le sol. Surpris, le petit groupe n'osa rien dire et regarda Bahamut comme si c'était un fantôme (il en avait un peu l'air aussi...). Le colosse semblait avoir repris brutalement des couleurs, mais très vite il perdit de sa fougue et redevint le maladif qu'il était.

    -Déso... Désolé, balbutia-t-il, honteux.

    Un sourire intéressé se dessina sur les lèvres de Gaïa. Visiblement, le marin avait mis le doigt dessus à ça plus grande douleur. Tout ça était une question de femme... Gaïa en avait beaucoup entendu de ce genre d'histoire et c'était toujours la même chose. Elle aurait abandonné Bahamut là, mais quelque chose lui disait que ce n'était pas tout.

    Chancre, quant à lui, se précipita vers son matelot, constata qu'il n'avait rien d'autre qu'un sale bleu sur le visage et qu'il était conscient, jetant un regard plein d'incompréhension à Bahamut. Le capitaine tourna à son tour son regard vers le colosse et le désigna du doigt :

    -La prochaine fois que vous frappez un de mes hommes sans raison, je vous jette à la mer, vous qui n'êtes pas décidé à vous suicider correctement.

    Il n'eut pas le temps de finir sa phrase, que Gaïa avait déjà emporté son compagnon bien loin dans le couloir du bateau.

    Le vieil homme qu'il était se gratta de nouveau la barbe avec son crochet. C'était étrange... il avait l'impression de l'avoir déjà vue quelque part.

    Oui, une impression de déjà vu...

    Mais où ?

    ©Bahakell


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